Livres
Michel Crozier et Bruno Tillette
Nouveau regard sur la société française
Paris, Odile Jacob, 2007.


Cette œuvre fondatrice présente l'élaboration d'une perspective politique sur les systèmes d’action concrets humains organisés et ses implications épistémologiques et méthodologiques. Elle est issue de travaux de recherche sur l'administration française face au changement menés par le Centre de sociologie des organisations de Paris, fondé peu de temps après la publication de la fameuse étude de Michel Crozier, Le Phénomène bureaucratique (1964), qui a établi la sociologie des organisations en tant que discipline académique en France. On peut faire remonter le traitement des organisations comme « construits politiques » aux travaux antérieurs de R. Cyert, J. March et H. Simon.

Mais contrairement à ces auteurs et à la voie de recherche anglo-saxonne qu’ils ont influencée, le groupe français de recherche sociologique autour de M. Crozier et Erhard Friedberg a maintenu, jusqu'à aujourd'hui, sa perspective politique, et n’a cessé d’élargir et d'approfondir, avec une grande cohérence, l'approche théorique et la méthode qualitative d’analyse empirique comparative des organisations qui lui était associée. Le projet au cœur de leur approche tend à expliquer le fonctionnement des organisations et des systèmes d’action moins formalisés au moyen de structures de jeux qui canalisent et stabilisent les relations de pouvoir et de négociation entre un ensemble d'acteurs partiellement autonomes mais stratégiquement interdépendants.


Rationalité limitée, interdépendances stratégiques et genèse des relations de pouvoir

L'approche « actionniste » de M. Crozier et E. Friedberg, appelée « analyse stratégique des organisations », prend comme point de départ les activités et les stratégies d’agents humains intéressés. L'activation des intérêts et le choix des stratégies suivent une rationalité limitée subjectivement par la perception des possibil

ités d'action ou des alternatives et par la capacité de les utiliser. La limite de la rationalité provient de contraintes cognitives (élaborées par Lindblom, Simon, March et Hirschman) qui sont amplifiées par des incertitudes stratégiques, en raison des interdépendances entre les actions entreprises par les agents. Ces interdépendances et incertitudes stratégiques doivent être traitées au sein des réseaux de relations sociales