Biographie


Michel Crozier a disparu en mai 2013. I avait 90 ans.

Au sortir de la guerre, après des études commerciales et une licence de droit, Michel Crozier obtient une bourse pour étudier les syndicats aux États-Unis. Comme il le dira lui-même beaucoup plus tard, ce séjour sera décisif pour l’intellectuel de gauche littéraire et épris de critique sociale qu’il était. Pendant quatorze mois, il va sillonner les États-Unis, rencontrant des syndicalistes de tous bords qu’il interviewe pour comprendre le fonctionnement et le rôle des syndicats américains. Ce séjour lui permet de s’approcher de la société américaine d’alors et, plus encore, lui donne le goût de l’enquête et de la recherche de terrain. De retour en France, il publie un livre sur cette enquête, passe un doctorat de droit puis entre au CNRS avec pour projet de comprendre les raisons pour lesquelles les employés n’ont pas la conscience de classe que leur suppose la théorie marxiste. Il participe, dès sa fondation, à l’Institut des sciences sociales et du travail (ISST) financé par des fonds provenant des contreparties de l’aide Marshall.

Il entreprend sa première recherche empirique sur les Chèques Postaux. Les résultats de l’étude, publiés aux Éditions du CNRS sous le titre Petits Fonctionnaires au travail, le font connaître du milieu des sociologues du travail réunis autour de Georges Friedmann et, dès lors, les enquêtes s’enchaînent les unes aux autres. Entre 1955 et 1959, Michel Crozier, qui dispose maintenant d’une petite équipe à l’ISST, mène une recherche-action dans une grande banque, une recherche extensive dans six compagnies d’assurances qui fournira le matériau de son livre Le Monde des employés de bureau publié en 1965, et surtout l’enquête dans les manufactures de tabac du SEITA.

En 1959, il est invité par la Fondation Ford au Center for Advanced Studies in the Behavioral Sciences, à Palo Alto en Californie, et y commence la réflexion qui va le conduire à la rédaction, d’abord en anglais, puis en français (sous forme de thèse d’État) de son livre Le Phénomène bureaucratique, qu’il publie en 1964. Il y esquisse les fondements de ce qui deviendra « l’analyse stratégique des organisations ». Fort du succès de ce livre, il fonde une équipe de recherche du CNRS, le Centre de Sociologie des Organisations, recrute progressivement un groupe de jeunes chercheurs et y entreprend un nouveau programme de recherche, cette fois sur l’administration française face au changement. Parallèlement, il poursuit l’explicitation des prémisses théoriques et l’approfondissement de la démarche de recherche et de la méthodologie d’action qui sous-tendent son approche de l’analyse des organisations.

Ce double travail empirique et théorique aboutira, d’une part, à la publication, par les membres du Centre de sociologie des organisations, d’une série de livres et de thèses sur l’action administrative en France et, d’autre part, à la rédaction, en collaboration avec Erhard Friedberg, d’un essai théorique, L’Acteur et le Système, dans lequel sont présentés les éléments d’une théorie organisationnelle de l’action collective. Celle-ci veut étendre l’approche utilisée pour l’analyse des organisations à l’étude des systèmes d’action qui sous-tendent l’action collective en dehors du cadre formel des organisations. Publié en 1977, ce livre vient à son heure alors que l’emprise du marxisme structuraliste sur les sciences sociales et sur le monde intellectuel en France commence à faiblir. Il connaît un grand retentissement, bien au-delà du seul milieu sociologique. En permettant de structurer un enseignement pratique de la sociologie ainsi qu’une démarche de recherche, il a largement contribué à la réhabilitation et au renouvellement d’une sociologie de l’action en France.

Mais, pour Michel Crozier, la théorie sociologique n’est pas une fin en soi. Très engagé dans le groupe des intellectuels autour de la revue Esprit, et membre, dès l’origine, du Club Jean Moulin, il a toujours cherché à faire coïncider son activité de recherche avec son engagement pour la réforme de la société et de l’État français. Le programme de recherche initié sur l’administration française face au changement, ainsi que toute une série de livres (La Société bloquée publié en 1970, On ne change pas la société par décret en 1979, État modeste, État moderne en 1987) en témoignent.

Pour Michel Crozier, la connaissance sociologique doit être utile, elle doit produire une connaissance pratique, une connaissance qui puisse être un outil du changement en permettant aux intéressés de mieux comprendre leur situation et donc, d’être mieux à même de la changer.
Michel Crozier est un sociologue français, né le 6 novembre 1922 à Sainte-Menehould (Marne). Il s'est éteint à Paris le 23 Mai 2013.

Diplômé d'HEC, Docteur en Droit en 1949, Docteur d'État ès Lettres en 1969, Michel Crozier a fait toute sa carrière au CNRS : attaché de recherche en 1952, il y devient chargé de recherche en 1954, maître de recherches en 1964, puis directeur de recherches en 1970. Il est depuis 1980 directeur de recherches émérite.
Il est le principal concepteur de l'analyse stratégique en sociologie des organisations.
Depuis 1999, il était membre de l'Académie des sciences morales et politiques, élu au fauteuil de François Lhermitte.